Rien de rien

Rien de rien

 

 

 

 

Ces petits textes mis à votre disposition n'ont d'autre but que de vous distraire un court instant des préoccupations de la vie quotidienne.

 

Bonne lecture.

 

LA SELECTION DU MOMENT

 

 

        

La mer mère

 

ou

 

L''amère mer

 

ou encore

 

L'âme erre, mère

 

 

 

Petit conte pour enfants

 

Dans lequel il est conseillé de ne jamais se fier aux apparences

 

En cultivant le doute radical

 

 

On se procurera avec profit des plants de culture de doute radical dans toutes les bonnes librairies

 

Sur recommandation du ministère de l'éducation nationale

 

à l'intention des maîtres de l'école publique laïque et républicaine

 

Liberté - Egalité - Fraternité

 

 

 

Remarque liminaire : toute ressemblance avec une espèce autre que celles des habitants des mers serait totalement fortuite !

 

 

 

L'instant était solennel. Solennel parce qu'exceptionnel et grave. Que dis-je grave ! L'instant était dramatique, pathétique même.

 

Comment avait-on pu en arriver là? C'est ce que se demandait l'assistance qui avait été rassemblée ici par l'empereur.

 

Quelques semaines plus tôt, le poisson empereur avait dépêché des messagers dans toutes les régions de l'empire marin afin de convoquer des Etats généraux extraordinaires. En réalité, c'était la totalité des régions des mers et des océans qui se devait d'être représentée car des décisions importantes devaient être prises.

 

Le poisson empereur observait de ses gros yeux globuleux l'arrivée des représentants de chacune des espèces qui peuplaient l'empire. La réunion avait été organisée à l'intérieur d'un atoll corallien de l'hémisphère sud. Le gratin de la gent maritime y avait aussi été convoqué. Ce gratin des mers se composait des espèces non pas les plus nombreuses, mais de celles dotées des plus grandes qualités de noblesse. Et la qualité nobiliaire dans l'empire océanique se mesurait essentiellement à la puissance des mâchoires.

 

Aux premiers rangs de l'assistance siégeaient donc, à tous saigneurs, tous honneurs, les différentes espèces et sous espèces de requins. Ils étaient les pourvoyeurs en biens de tous ordres pour le compte de l'empire autant que pour leur propre compte. Ils faisaient main basse sur tout ce qui pouvait exciter leur convoitise. Et quand, excédées par leurs razzias meurtrières, les autres espèces venaient se plaindre devant la justice, ils s'en sortaient toujours en prétendant qu'ils étaient les forces vives de l'océan, que leur rôle était de réguler les flux de biens et d'individus pour le plus grand bénéfice de la communauté. Certains d'entre eux prétendaient même qu'une "main invisible" régulait et équilibrait

 

par elle-même certains excès de ce qui pour la majorité passive passait pour être de l'injustice. Ils affirmaient même que c'était eux, les requins, les instruments nécessaires de la volonté de cette "main invisible"

 

Le plus lourd tribut dû au nom de la "main invisible" était payé par les sardines, harengs et autres maquereaux, les plus nombreux et vivant en bancs serrés, comme pour avoir moins peur, leur multitude leur donnant l'illusion d'être moins vulnérables. Ils n'avaient pas conscience qu'ils constituaient au contraire une proie visible, nombreuse et facile pour les grands prédateurs des mers.

 

Tout près des requins se tenaient les représentants des poissons pilotes qui conduisaient leurs maîtres nourriciers vers les proies les plus nombreuses. Il leur arrivait même de s'associer avec les pilotes d'autres requins pour ensemble, conduire à leur propre perte vers les haut fonds ou vers les bas fonds, les bancs de menu fretin constituant la base du capital alimentaire de leurs maîtres. Enfin ils n'hésitaient pas à faire courir les pires rumeurs pour prendre les gogos dans leurs filets. Raison pour laquelle on les avait affublés du vilain sobriquet de rémora.

 

A la suite des grands prédateurs se profilaient les représentants des pieuvres et des calmars. Grands charognards, ils se régalent des miettes laissées par les requins. La pieuvre en particulier passe pour être d'une grande avarice. Ses huit tentacules servent autant à capter tout ce qui passe à sa portée qu'à conserver jalousement par devers elle le butin déjà amassé. Les seiches et les calmars eux, sont parait-il plus malins mais tout aussi filous. D'apparence inoffensive la seiche s'aplatit sur le sol marin, se confond avec l'environnement. Mais qu'une proie vienne à passer et cette sirène à la peau lisse l'attire dans ses longs bras maigres avant de la déguster lentement, avec délectation.

 

Plus audacieux, le calmar lui, ne dédaigne pas de s'attaquer à de très grosses proies. S'il redoute d'être démasqué, il jette de la poudre aux yeux de la future victime, en réalité de l'encre peu sympathique, ce qui la désoriente totalement. Tout comme la seiche, il embrasse sa proie et l'étreint (1) fortement pendant qu'il lui arrache la chair, morceau par morceau…

1 N'oublions pas qu'il est doté d'une belle paire de tentacules! Le calmar fait ainsi mentir le proverbe : qui trop embrasse mal étreint. Proverbe d'ailleurs mal traduit qui ne passe pas l'épreuve des faits. Vient du latin et du palatin; aphorisme prononcé par Sénèque et adressé à Néron après qu'il eut incendié Rome. Voici sa traduction correcte : Qui trop embrase mal éteint.

 

Non loin d'eux dans l'assemblée siègent encore les représentantes des huîtres et celles des moules. On ne peut pas dire qu'elles soient de grandes voyageuses, celles-là. Le plus souvent accrochées au rocher qui les a vu naître, elles y passent une vie entière d'indolence, attendant que la nourriture leur soit apportée par les courants. De vraies natures de rentières ! Celles qui assistent aux états généraux ont dû se faire violence pour venir jusqu'ici. Il faut dire qu'elles n'ont guère eu le choix : L'empereur leur avait dépêché un bataillon de bigorneaux perceurs prêts à les dévorer si elles n'obtempéraient pas au décret impérial.

 

Confinés dans un coin, ce qui vous l'avouerez, pour l'enceinte circulaire d'un atoll, tient de l'exploit, et placés sous la garde de requins sabre prêts à se servir de leur rostre avec zèle, on avait placé les poissons pierre, représentants les plus venimeux des nombreuses espèces qui peuplent les océans.

 

A cause de la menace qu'ils représentent, on les a installés un peu à l'écart, sur un banc de sable blanc, afin que la garde impériale les ait facilement à l'oeil. Ces fourbes se cachent d'ordinaire au milieu des rochers dont ils prennent l'aspect. Leur épine dorsale, leurs nageoires même sont hérissées de piquants qui donnent la mort à des victimes qui n'ont pas même soupçonné la présence du meurtrier. Curieusement, non loin des poissons pierre, on avait placé le saint-pierre. Hasard? En tout cas, il pouvait paraître heureux que le plus grand mal soit placé auprès de celui qui, pour certains, était le représentant dans les océans du plus grand bien.

 

Les nombreuses délégations invitées remplissaient peu à peu l'atoll.

 Chacune des ambassades qui arrivait à la cour venait d'abord, suivant en cela un strict protocole, rendre hommage à l'empereur puis allait ensuite s'installer à la place que l'étiquette leur avait réservée.

 

La succession des ambassades n'en finissait pas. Il faut dire que malgré la raréfaction et la disparition dramatique de nombreuses espèces, il en restait suffisamment pour que la cérémonie de réception des ambassadeurs s'éternise encore pendant des heures. L'empereur, d'un naturel pourtant débonnaire, ne pouvait s'empêcher de consulter sa montre avec impatience : le temps était leur pire ennemi à tous ! Même le poisson clown qui d'ordinaire parvenait à le distraire de ses devoirs de monarque ne réussissait pas cette fois-ci à effacer les rides de son front. Car il savait que la déclaration que son statut d'empereur lui commandait de faire ne pouvait manquer de provoquer de sérieux remous. L'immense arène naturelle ménagée par l'atoll finissait de se remplir. Si chacun occupait la place qui lui était assignée, il n'en demeurait pas moins que quelques erreurs de placement avaient été commises. Ainsi par exemple, le grand requin blanc avait été placé juste à côté du thon rouge. Quand on sait que le thon représente le mets préféré du requin…

 

En d'autres circonstances le premier aurait été effrayé par cette fatale proximité pendant que l'autre se serait pourléché à l'idée de l'imminence d'un repas gastronomique. Mais ç'eut été oublier un peu vite qu'ils étaient à la cour de l'empereur et qu'il était impératif que chaque sujet qui y entrait en ressorte sans avoir subi la moindre atteinte à sa dignité ou à sa liberté. Faute de quoi, les espadons ou poisson-épée avaient pour mission de transpercer l'audacieux contrevenant de leur rostre puissant, sans autre forme de procès.

 

Cette perspective était la seule qui permit, même ici, le maintien d'une paix provisoire. Car aucun mets, aucun plaisir aussi intense fut-il ne valait qu'on y perdit la vie.

 

Tous les assistants qui occupaient maintenant le lagon avaient pris place et attendaient en silence que la séance commence. Sur une petite estrade à la gauche de l'empereur siégeait un requin marteau au regard un peu fou. Il avait qualité de premier conseiller du roi car, parce qu'il était simple d'esprit, on pensait que la vérité sortait souvent de sa bouche.

 

Le requin marteau approcha du trône de l'empereur et se frappa la tête contre un énorme bénitier, sans que cela n'étonna personne. Le bivalve ainsi ébranlé se mit à vibrer longuement et communiqua au loin ses vibrations languides dans le milieu liquide. Pour annoncer le début de la séance, souffler dans une conque eut été plus indiqué; mais outre le fait qu'ils n'y avait pas de conques dans les parages, ce qui peut paraître paradoxal vu que leur population augmente sans cesse, outre donc l'absence, rassurez vous très temporaire de conques, essayez donc de souffler dans une conque pleine d'eau : il n'en sortirait que des bulles!

 

L'annonce du bénitier signifiait que l'empereur allait parler. Et c'est ce qu'il fit. Se levant de son trône, il consulta une nouvelle fois sa montre pour constater avec satisfaction que c'était l'heure juste et que tout le monde attendait respectueusement de boire ses paroles.

 

Dieu merci pensa-il avec gratitude et, il faut l'avouer, avec un brin d'orgueil, les lois autrefois instaurées dans l'empire par mes glorieux ancêtres ont encore cours aujourd'hui !

 

Ah oui ! J'ai oublié de préciser que la gente aquatique vénère dieu, enfin, chacun le sien et l'invoque à tous propos. Ainsi le dieu des poissons fait concurrence à celui des crustacés et comme ce dernier d'ailleurs, il est aussi en compétition avec ceux, nombreux, des autres peuples de la mer. Le plus drôle, c'est que chacun croit que son dieu est le seul vrai dieu, celui qui est à l'origine de tout ce qui existe dans l'univers.

 

Ne connaissant rien d'autre que ce que leurs sens limités et leurs intelligences débiles leur permettent, ils croient fermement que le monde se résume à ce qui existe sous la surface des mers et des océans.

 

Dans les temps très anciens, des prophètes au naturel très imaginatif, souvent des poissons lune d'ailleurs, sont parvenus à convaincre les peuples sub-aquatiques que c'est une divinité d'au delà des eaux d'en haut qui aurait crée tout ce qui existe à partir de rien. L'absurdité d'une théorie consistant à créer quelque chose à partir de rien leur a totalement échappé, mais peut-on leur en vouloir, ce ne sont que des poissons ! S'ils avaient un tant soit peu réfléchi, ne croyez vous pas qu'ils se seraient dit : rien ne peut sortir du néant, car si le néant n'est pas même un point mathématique, alors le néant n'existe pas. Or comment quelque chose peut-il sortir de rien ? En définitive, dieu leur est une pirouette commode et puérile qui fait diversion au seul problème réel qui se pose à eux : comment accepter sans crainte que l'origine du monde soit un mystère et le demeure ? Mais bon, encore une fois, ce ne sont que des poissons, il ne faut pas trop leur en demander.

 

Donc, revenons à notre Empereur : Après avoir rendu grâce au grand dieu IKTHIOS, le dieu du peuple poissard dont sa famille (originairement de basse extraction) était issue, l'empereur se racla les branchies, et commença à déclamer sur un ton théâtral :

 

         -Mesdames et messieurs, vous le savez, l'heure est grave! Tous les rapports que nous recevons des poissons pèlerins en voyage aux quatre coins de l'empire corroborent les données scientifiques les plus alarmistes et démontrent que le monde est menacé comme jamais il ne l'a été de mémoire d'océanien. Beaucoup d'entre vous savent déjà que les eaux habituellement froides de lieux de reproduction de la plupart d'entre nous commencent à se réchauffer sérieusement, mettant en péril la survie de nos espèces. Quant aux eaux des mers chaudes, elles se réchauffant plus encore et contraignent certaines espèces endogènes à émigrer dans des lieux déjà surpeuplés, augmentant ainsi la pression démographique, terreau favorable à la montée de l'agressivité.

 

Dans les mers chaudes laissées vacantes par la plupart de ses anciens habitants, les espèces les plus résistantes sont devenues envahissantes en présentant une croissance et une multiplication rapide et désordonnée, menaçant dangereusement des écosystèmes déjà fragilisés.

 

En outre, je rappelle pour mémoire que les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes et provoquent de plus en plus de dégâts dans nos populations. Qui n'a pas vu un jour ces énormes ombres noires glissant au ciel de nos océans, bientôt suivies par la destruction de nos sols et l'enlèvement de milliers d'entre nous qui disparaissent à tout jamais vers des destinations inconnues…

 

Là où passent ces racleurs de fonds, les herbiers ne repoussent plus et le désert avance, inexorablement. Et pour finir, nous faisons le constat amer que notre eau est de plus en plus sale, attaquant nos organismes sans que nous puissions nous expliquer la cause de ces phénomènes.

 

Une crevette, installée au premier rang sans doute à cause de sa petite taille, osa lever une de ses antennes pour demander la parole. L'empereur, constatant qu'il s'agissait d'une crevette royale, ou au moins de sang royal, consentit à la lui donner.

 

         - Sire, s'enhardit le décapode, voulez vous dire que nous sommes tous perdus? Que nous allons mourir?

 

 

 

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