Rien de rien

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Lettre ouverte à l'ami

Les sociétés contemporaines aspirent toutes progressivement au règne de la quantité, feignant d'ignorer que celui-ci s'accompagne de la solitude et de la perte de sens.

Alors dans ce monde en rapide mutation, chacun tente de se forger de nouveaux repères rassurants.

Une des principales béquilles à l'angoisse de la solitude réside dans l'emploi forcené aux réseaux sociaux. Dis moi combien tu as d'amis, je te dirai qui tu es !

 

L'amitié est d'une autre essence que le partage d'opinions générales, de photos ou de vidéos sur internet.

Ce constat permet de se poser la question : qu'est-ce qu'un ami?

 

Les réponses sont probablement aussi nombreuses qu'il y a d'individus à la surface du globe.

En voici une.

 

Lettre ouverte à l'ami

 

 

Cher ami,

Pourquoi, au nom de l'amitié qui nous unit, exiger que nous nous fréquentions assidûment?

L'amitié dites-vous se cultive comme une plante fragile. Elle nécessite toute notre attention, et ne prend force et vigueur qu'à l'aide de fréquents arrosages. J'en conviens avec vous pour ce qui a trait au végétal. Mais notre humanité fait de nous plus que cela!

 

Devons nous dès lors mesurer la force de notre amitié au nombre des heures partagées?

La qualité et la profondeur des liens qui nous unissent sont-elles tributaires de l'horloge?

Pour moi, la réponse est discutable.

Peut-être au contraire, et précisément en raison de la rareté de nos rencontres, sommes nous plus enclins à nous tourner, dans ces rares moments de partage, vers ce qui nous paraît, à vous et à moi, comme le plus essentiel!

 

Vos petits tracas de la vie quotidienne m'ennuient infiniment. Vos petites joies et vos petites peines sont vôtres, pourquoi vouloir en charger le bât de vos amis? Ne savez vous pas que c'est pure politesse et feinte de leur part que de montrer de l'intérêt pour la banalité de vos émois domestiques?  

 

Pour moi, j'estime cette politesse en amitié fort déplacée et pour tout dire indécente.

Les convenances doivent céder ici le pas à l'intransigeance de la franchise, franchise des propos comme franchise des actes, fusse au prix de l'incompréhension de l'ami, et dans les cas extrêmes, au prix de la rupture.

Ce terme ultime, cette brisure du lien, si elle devait advenir, révélerait la fausseté des fondations sur lesquelles nous aurions assis notre amitié. La conséquence, loin d'en être fâcheuse, offrirait l'incontestable avantage de ne point gaspiller notre temps plus avant avec celui-ci pour le consacrer à celui-là qui saura mieux museler son orgueil et l'opinion élevée qu'il aurait de lui-même, pour accueillir le franc parler de l'ami sincère avec la bienveillance qui lui sied.

 

La véritable amitié se ressent, s'expérimente de l'intérieur et sait rester modeste dans ses manifestations. Point n'est besoin de battre le tambour pour que de vrais amis se reconnaissent comme tels.

Mais qu'un ami soit dans la peine et vous verrez ceux qui l'aiment d'une amitié sincère voler à son secours sans délai.

 

Ne nous payons pas de mots. Ayons suffisamment de courage pour reconnaître qu'en amitié, donner et recevoir est un engagement exigeant qui, la chaire en moins, se doit vivre à la manière dont l'amour se vit entre deux êtres aimants.

Comme dans l'espèce amoureuse, l'amitié le plus souvent ne se décrète point.

Elle s'empare des êtres, pourrait-on dire, sans rime ni raison.

Parce que c'était lui, parce que c'était moi disait Montaigne…




18/04/2012
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