ballade écossaise
Voici une série d'extraits de textes ou de poésies d'auteurs plus ou moins familiers. L'intérêt, si intérêt il y a, réside dans leur juxtaposition qui semble évoquer un apprentissage, un processus. Bon vent et à chacun son voyage.
Un jour,
Un jour, bientôt peut-être,
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers
Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien.
Je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements "de fil en aiguille".
Vide de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.
A coups de ridicule, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une immense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m'avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l'estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
CLOWN, abattant dans la risée, dans l'esclaffement, dans le grotesque, le sens que contre toute lumière je m'étais fait de mon importance.
Je plongerai sans bourse dans l'infini-esprit sous-jacent ouvert à tous, ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée.
A force d'être nul
Et ras
Et risible... (1)
Frères, vous pullulez, vous vous entroupez, vous vous encroûtez.
Bientôt les caves seront à sec et que deviendrons-nous ? Alors il n'y aura plus rien à boire et chacun criera à son dieu : " rends-moi mes vignes ! " et chaque dieu répondra : " rends-moi mon soleil ! ", mais il n'y aura plus de soleils, ni de vignes, et plus moyen de s'entendre.
Des soleils et des vignes, il y en a encore. Mais sans soif, on ne fait plus de vin. Plus de vin, on ne cultive plus les vignes. Plus de vignes, les soleils s'en vont : ils ont autre chose à faire que de chauffer des terres sans buveurs, ils se diront : allons maintenant vivre pour nous.
Cela, le voulez-vous ?
- Non ! Gronda l'auditoire.
- Avez vous soif ?
- Oui ! Confessa l'auditoire.
- Eh bien, allons aux vignes ! Mais pour cela, il faut partir comme moi, en délaissant tous les biens de ce monde, en n'emportant que le strict nécessaire.
Qui a soif me suive ! (2)
Cieux célestes
terre terrestre
Mais où est la terre céleste? (3)
Les dieux sont ceux qui ne doutent jamais.
Echappe-toi, comme eux, par la foi, dans l'incréé.
Accomplis-toi dans ta lumière astrale! Surgis!
Moissonne! Monte! Deviens ta propre fleur!
Tu n'es que ce que tu penses : penses-toi donc éternel. (4)
Descends donc! Je pourrais aussi bien dire: monte!
C'est tout un dans ce cas. Fuis bien loin du créé,
Au royaume infini des images sans compte
Tiens la clé loin du corps pour te servir de guide (5)
L'homme, en songeant, descend au gouffre universel. (…)
Le spectre m'attendait ; l'être sombre et tranquille
Me prit par les cheveux dans sa main qui grandit,
M'emporta sur le haut du rocher, et me dit :
Sache que tout connaît sa loi, son but, sa route;
Que, de l'astre au ciron, l'immensité s'écoute;
Que tout a conscience en la création;
Et l'oreille pourrait avoir sa vision,
Car les choses et l'être ont un grand dialogue.
Tout parle : l'air qui passe et l'alcyon qui vogue,
Le brin d'herbe, la fleur, le germe, l'élément.
T'imaginais-tu donc l'univers autrement ?
Non, tout est une voix et tout est un parfum;
Tout dit dans l'infini quelque chose à quelqu'un;
Une pensée emplit le tumulte superbe.
Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
Tout parle ? Écoute bien. C'est que vents, ondes, flammes,
Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! Tout est plein d'âmes. (6)
Homme ! Libre-penseur, te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens, ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils, l'Univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant...
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose;
Un mystère d'amour dans le métal repose:
Tout est sensible ; et tout sur ton être est puissant ! (7)
Si tu n'entends pas le sens de certaines paroles, tu périras simplement dans l'air qui m'entoure. Tes poumons ne supporteront pas son poids étouffant.
Alors que tu vagissais dans tes langes,
Si tu n'eus pas sous tes paupières fermées,
Le regard tout empreint de cette lumière qui pénètre,
Reconnaît et réfléchit l'Esprit substantiel des choses,
L'esprit d'universalité entre les choses,
Je ne puis te donner ce regard.
Si tes yeux sont vivants, si tes pieds sont libres,
Observe et avance; nul n'est initié que par lui-même. (8)
Et quant à la connaissance des faits de la nature, je veux que tu t'y adonnes curieusement.
Qu'il n'y ait mer, rivière ni fontaine dont tu ne connaisses les poissons, tous les oiseaux de l'air, tous les arbres, arbustes, et fructices des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout Orient et Midi.
Que rien ne te soit inconnu.
Puis soigneusement, revisite les livres des médecins Grecs, arabes et latins, sans oublier les talmudistes et cabalistes, et par fréquentes anatomies, acquiers toi parfaite connaissance de l'autre monde qui est l'homme. (9)
Ce n'est pas dans la connaissance des choses du dehors, c'est dans la perfection intérieure de l'âme que repose l'empire de l'homme qui aspire à être plus qu'un homme.
- Et quels livres contiennent toute cette science? Dans quel laboratoire se fait cette analyse ?
La nature elle-même en fournit les matériaux. Ils sont autour de vous, sous vos pas, dans chacune de vos promenades. Dans les éléments, sources de toute matière, sous ses formes les plus humbles et les plus imposantes. Dans le large sein de l'air. Dans les sombres abîmes de la terre. Partout s'ouvre aux mortels les trésors et les ressources de la science immortelle. Mais les problèmes les plus simples, dans la plus simple des études, sont obscurs pour celui qui ne concentre pas sur eux les forces de son esprit, et le pêcheur qui chante, là-bas, sur la vague assoupie, ne peut vous dire pourquoi deux cercles ne se peuvent toucher qu'en un seul point. Ainsi, quand la terre entière porterait gravée sur toute sa surface les lettres de la science divine, ce seraient des signes sans valeur pour celui qui ne s'arrête pas à interroger cette langue et à méditer la vérité.(10)
Avant l’aube qui précède le jour, quand ton âme au dedans dormait sur les fleurs dont la vallée d’en bas est ornée, une dame vint, et dit: "Je suis Lucia : laissez-moi prendre celui-là qui dort, ainsi je lui rendrai sa route facile."
Elle te prit, et quand le jour fut clair, vint en haut, et moi sur ses traces. Ici elle te posa, et ses beaux yeux me montrèrent cette entrée ouverte; puis elle et le sommeil s’évanouirent.
Comme un homme qui doutait et se rassure, et dont la peur se change en confiance quand il découvre la vérité, ainsi je changeai; et mon Guide, me voyant sans crainte, monta par le rempart, et moi derrière lui, vers la hauteur.(11)
Chers passants, ne prenez de moi-même qu'un peu,
Le peu qui vous a plu parce qu'il vous ressemble ;
Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu :
Le vrai de l'amitié, c'est de sentir ensemble ;
Le reste en est fragile, épargnons-nous l'adieu. (12)
1- Henri Michaux : "Peintures" (1939), L’espace du dedans Poésie/Gallimard
2- René Daumal : "La Grande Beuverie" - Imaginaire/Gallimard
3-Robert Desnos : "Vent nocturne" -Extraits de Corps et biens/ Poésie Gallimard
4- Villiers de l'Isle-Adam : "Axël"/ Editions Absalon
5- Goethe : "Faust" I- Acte I : Galerie sombre
6- Victor Hugo : "Les Contemplations" Livre VI : "Au bord de l'infini", XXVI (Ce que dit la bouche d’ombre)
7- Gerard de Nerval : "Vers dorés"
8- Villiers de l'Isle-Adam : "Axël"
9- François Rabelais : "Pantagruel", Chapitre VIII (Comment Pantagruel estant à Paris receupt lettres de son pere Gargantua, et la copie d'icelles)
10- Bulwer-Lytton : "Zanoni ou la sagesse des Rose-Croix."
11- Dante : "La divine comédie". Le Purgatoire chant IX.
12- René-François Sully-Prudhomme : "Aux amis inconnus" dans "les vaines tendresses"