Rien de rien

Rien de rien

les voyages extraordinaires de Toine et d'Anne-Partie 1

 

ce fabliau à entendre avec la troisième oreille est, outre son sens allusif, truffé de contrepétries que vous pouvez à loisir tenter de découvrir.

 

Pour votre gouverne, sachez qu'il y en a plus de 80!

 

Alors bonne chasse et bonne chance!

 

Les voyages extraordinaires de Toine et d'Anne

 

Le destin est parfois facétieux et aime jouer des tours à ses créatures. 

Comment Anne et Toine ont ils pu se rencontrer alors que rien ne le laissait prévoir?

C'est ce que nous allons voir.

 

Lui avait d'abord été moine chez les cordeliers puis, après avoir quitté l'ordre, était devenu membre éminent d'une confrérie de maîtres fendeurs. Elle, de son côté, était une ancienne soeur béguine, de la congrégation de Sion. Elle avait été sœur converse[1] avant de se défroquer.

Peut-être le destin les lia-t-il  ensemble parce qu'ils étaient tous deux d'anciens défroqués?

Nul ne le saura jamais, et après tout, cela a-t-il de l'importance?

 

Quoi qu'il en soit, voici leur histoire:

 

Avant de devenir un expert en fendage, noble activité exigeant de donner beaucoup de sa personne, Toine avait donc, dans sa prime jeunesse, embrassé la carrière religieuse et enfilé, par amour pour elle, la robe conventuelle.

Son manque de dispositions pour l'étude était compensé par un physique avantageux, bien qu'il fût de figure ingrate. Il avait donc tout naturellement été conduit à exercer son noviciat comme frère lai[2] chez les frères mineurs.

A cette époque, frère mineur et encore adolescent, il travaillait dur pour l'œuvre de dieu. Il allait aux corvées plus souvent qu'à son tour et s'acquittait avec grâce de toutes les tâches domestiques que requérait l'entretien de son monastère. Il ne rechignait jamais à astiquer et à faire reluire du sol au plafond les grandes salles consacrées qui exigeaient de lui comme de tous les hommes pieux, qu'ils y pénétrassent debout, avant de finir sur les genoux.

Il prenait aussi plaisir à faire le pain de la communauté. Il pétrissait les flûtes avec autant de talent que d'ardeur. Sous ses mains expertes, la pâte bien préparée, finissait par gonfler et se distendre à souhaits. La préparation du four retenait aussi toutes ses attentions. Il était crucial en effet, d'accorder la chaleur du four avec le degré de fermentation de la pâte! Si la pâte n'était pas assez levée, il fallait continuer à entretenir le four jusqu'au bon moment. Voilà pourquoi il veillait à conduire la chaleur ni trop vite, ni trop lentement. Trop rapide, la montée en température eut brisé la voûte du four de manière irrémédiable. Trop lente, l'attente prolongée de la pâte aurait rendu sa fermentation impropre à la consommation.

Une fois la pâte enfournée, il donnait de généreux coups de buée,[3] tout en veillant à en doser la fréquence, garante d'une cuisson réussie.

La cuisson terminée, il sortait le pain du four et le laissait refroidir sur le jonc de cannes car il savait que la cuisson se poursuivait à l'intérieur de la pâte. Il avait aussi appris que, hors du four, le pain chaud dégageait encore beaucoup d'humidité[4] qui, si elle n'était évacuée, avait le pouvoir de ramollir la croûte.

Mais parmi toutes les besognes que l'amour du divin lui imposait, celle qu'il affectionnait entre toutes avait été le travail du bois. Il était devenu un très bon artisan dans ce domaine. Il fallait le voir limer, raboter, poinçonner, buriner, caresser la courbe d'un rinceau, effleurer le torse d'une colonne, poser ses lèvres avec tendresse sur les volutes charmantes de la rose épanouie que son art avait formée.

Alors qu'il terminait son noviciat et qu'il s'apprêtait à prononcer ses vœux définitifs, le jeune Toine confia à confesse que la nuit venue, alors que tous les moines avaient retrouvé leurs chambres menues, de jeunes vierges venaient sans cesse l'habiter en rêve. Il avoua aussi que très souvent, se levant pour prier matines, il se découvrait l'aube humide.

Fort intéressé, le moine confesseur s'enquit de la nature de cette liqueur matutinale. Le jeune Toine nia d'abord boire en cachette quelque liqueur que ce fût puis, instruit de sa méprise, avait reconnu son ignorance sur la cause de cette humeur et avait supposé que ses rêves le faisaient beaucoup transpirer, à moins que la coupable ne fût l'abondante rosée, compagne de l'aurore qui souvent suintait jusque sur les murs de sa cellule.

Emu par la confession des torts du jeune novice, le moine le serra sur son sein en le sermonnant sur l'inutilité fondamentale de la femme. Il avait conclu par ces mots définitifs :

            - Le plus important pour nous autres cénobites, c'est la vie des membres de la communauté, c'est de conduire notre vie jusqu'au fondement de toute existence!

Le prêche du confesseur laissa l'innocent Toine dubitatif. L'autre avait alors promptement jeté son capuce en arrière, ôté sa calotte, découvrant ainsi son crâne lisse, dans l'intention de démontrer qu'il était prêt pour la conquête de l'âme égarée du jeune mineur. Mais le bon prêtre fût lent à produire sa semonce si bien que le jeune novice pensa que le vieux capucin courrait tant de buts divers depuis quelques temps, qu'il en perdait sa belle mine

Blessé dans sa chair par la dureté avec laquelle il avait été traité, Toine avait alors relevé les pans de sa robe et pendu les jambes à son cou  avec une énergie digne d'un coureur de fond, décidé à mettre le plus de distance possible entre lui et les moines hypocrites fustigeant, à qui voulait bien les entendre, les paresses de la foi !

C'est ainsi qu'il abandonna ces hommes complexes, ces dévots dont les gorges à l'église débitent les sons des chœurs, ces clercs pleins de zèle qui font la quête pour leur dieu mais qui, dès qu'ils en ont l'occasion, courent à chaque dispute.

Attiré par l'odeur suave des sous bois, Toine finit par s'enfoncer dans la touffeur moite d'une noire forêt tapissée d'épines et dont on ne devinait les cieux qu'à la cime, entre les pins. Il fut bientôt attiré par le chant mâle de bûcherons qui ahanaient en cadence sur "il courre, il courre le furet" Il aborda alors une clairière occupée par quelques huttes, dont il découvrit que chacune appartenait à un fendeur expérimenté, ne l'habitant souvent qu'à la saison froide, en réchauffant la hutte avec un feu de poutres. Le reste de l'année, les fendeurs habitaient des gîtes de fortune.

Et c'est ainsi que, affranchi par leurs soins, Toine quitta le froc et devint à son tour maître fendeur, titre conférant le privilège de posséder sa propre hutte.



[1] Frère/Sœur convers(e): Religieux, religieuse employé(e) aux travaux domestiques et aux œuvres serviles d'une congrégation catholique. Sœur Anne était converse à Sion, capitale du Valais suisse.

[2] Frère lai : synonyme de frère convers.

[3] Le coup de buée : Consiste à ouvrir le four régulièrement afin de jeter un peu d'eau  au fonds du four. Un nuage de buée se forme à l'intérieur du four. Cette humidité est très importante car c'est elle qui rend la croûte croustillante.

[4] Le resuage : Opération qui consiste à placer le pain qui sort du four sur des grilles pour permettre l'évacuation de l'humidité résiduelle



11/04/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour